t'as pas envie d'y aller. cette cage où t'as été trop longtemps emprisonné, les murs dorés et le plafond d'argent t'ont toujours étouffé. mais pourtant t'es là, dans la voiture à regarder les hauts buildings défiler devant toi...parce que père t'as demandé de venir. père demande et toi t'accours aveuglement, dans l'espoir de voir un jour un sourire fier sur sa fine bouche que les rides commencent à marquer. il veut te parler d'un contrat, connaître ton avis (et tu sais très bien que peu importe ce que tu dis, il n'approuvera pas), puis discuter des préparatifs du mariage qui approche trop vite.
le coeur se serre alors que tu reconnais les alentours annonçant ton arrivée imminente. les paupières closes, serrées et les joues mordues, tu restes quelques minutes immobile dans la voiture. préparation mentale. tes orteils gigotent dans tes chaussures et tu fais ton possible pour ne pas mordiller tes lippes charnues. " um...sir..." t'ouvres les yeux, l'éternelle expression impassible dessine tes traits et tu retiens un soupir lassé. le chauffeur t'observes par le rétroviseur central et tu lui offres un regard froid qui lui fait automatiquement baisser les yeux. encore quelques secondes. t'as juste besoin de quelques secondes pour rassembler tes pensées - et ton courage, et sortir de la voiture. tu fais une reconstitution mentale de ce qui t'attends. t'entreras dans la maison. signaleras ta présence. puis père t'appellera dans son bureau et toi tu t'y rueras. tu l'écouteras une heure ou deux. puis il te dira de partir, et tu passeras encore trente minutes avec ta mère avant de rentrer chez toi. c'est bon. ça va aller.
tu rentres le code pour déverrouiller la porte et t'es surpris de découvrir la maison beaucoup trop silencieuse. "hey, it's me." maman n'est pas assise sur le canapé. le chien n'aboie pas. la femme de ménage de passe pas l'aspirateur. refermant la porte derrière toi, t'avances doucement dans la prison. "anyone here ?" pas de réponse. "father ? mom ?" la patience commence à manquer. tu sors ton téléphone pour découvrir un message de père "i forgot i had an important meeting. we'll talk tomorrow." et tes mains se resserrent sur l'appareil. t'es le seul à blâmer, le message a été envoyé il y a quarante minutes mais t'as décidé de mettre ton téléphone en silencieux. t'aurais pu être chez toi, peindre ou te détendre. mais tu te retrouves dans l'endroit que tu détestes le plus au monde. "great. fucking great."

Installé à ton bureau, yeux fixes sur les lignes imprimées le long des feuilles blanches qui construisent l’un de tes épais bouquins universitaires, tu relis sans cesse la même phrase sans parvenir à la comprendre. Esprit ailleurs, soupire qui traverse les lèvres, perce le silence de la chambre avant que le regard ne se lève vers le plafond. Ton cœur berce ta tête d’idées tentantes, d’envies nocives pour tes performances académiques, mais tu persistes. Assis, enfermé pour mieux réviser malgré l’impossibilité d’assimiler le moindre paragraphe. Le téléphone sur le coin, juste assez en retrait pour ne pas se faire dérangeant, parvient toutefois à t’interpeller de ses belles promesses de contact avec le monde extérieur. Ça te démange, une récompense qui n’est pas encore obtenue. La pause devient la plus grande des évidences, décidant de t’éloigner du livre ouvert sans pour autant prendre possession de ton portable puisque tu sais très bien que ce serait signer la fin de la session de révision pour aujourd’hui.

Bruits quelque part dans la maison, tu crois d’abord qu’il s’agit de l’un des parents ou de la femme de ménage pour rapidement te souvenir que tous sont hors de la maison pendant encore un bon moment. Principaux coupables rayés de la liste, tu hésites un instant entre aller investiguer par toi-même ou appeler directement la police. Première option préférable, il te suffit d’ouvrir la porte de ta chambre pour percevoir la voix familière d’un frère déjà irrité qui devine la quiétude des lieux. « My favorite brother ! » Exclamation éloignée, seul être vivant dans cette maison dont il devra se contenter pour aujourd’hui à défaut de la présence des parents. Sa mauvaise mine est rejointe, sourire placardée sur ton propre visage. « Plans got canceled again ? » Souvent la même histoire, les devinettes qui ne se font plus et tu trouves enfin l’évasion cherchée loin de tes cours pour laquelle tu ne pourras te faire ton propre sermon puisque la famille passe toujours en premier. « Smile up, cherry pie. Aren’t you happy to see me ? »